Rencontre avec Jean-Louis Mercuzot directeur artistique, et auteur de la pièce « la truite à la menthe » spectacle théâtral et musical autour des saveurs et de l’alimentation.
S2M : Quelque mot sur votre parcours, quel chemin vous a amené à traiter de science dans vos spectacles ?
Quand on est comédien ou directeur de compagnie on ne pense pas qu’on puisse parler de contenu scientifique. Dans notre cas nous avons été interpellés alors que nous menions un travail avec des polytechniciens, on s’est alors frotté à des gens qui sont chercheurs et à un moment donné on leur demandé «mais qu’est ce que vous cherchez donc ? », « qu’est ce que tu fais de ta vie, c’est quoi ton travail » ? … de là ils nous ont amené dans leur labo et on était tellement plein de question qu’on s’est dis avec eux ce serais peut être bien de faire des sortes de mini conférence pour des gens comme nous ignares. Dans le même temps on a répondu à un appel à projet déposé par la cité des enfants pour les 10 ans de la Vilette pour travailler sur les cinq sens et on a été retenu. On a travaillé sur ce thème avec une école, avec des chercheurs, des médiateurs et on a mis en place un travail d’écriture avec un contenu scientifique très précis sur les 5 sens et un travail dramaturgique, scénographique ….
S2M : Comment définiriez-vous le théâtre scientifique ?
Nous on défend l’idée de faire de la vulgarisation scientifique , qu’il est important de se frotter à un contenu scientifique et de ce demander en tant qu’auteur comment reconstruire ce contenu scientifique sans le déformer, avec une approche ludique. Comment rendre accessible ce contenu, pour nous il faut être dans le contenu et pas seulement dans la poésie, car évidemment nous en tant qu’auteur on peut écrire des fables des nouvelles, mais ici l’enjeu est plus de ce confronter à un contenu scientifique et de le restituer en faisant valider ce travail par des chercheurs.
S2M : Pour vous le théâtre de science à donc inévitablement une volonté de passation de savoir ?
Je pense qu’il y a deux choses importantes, l’éveil, l’appétence, l’envie d’en découdre; de comprendre ce qui peut passer par l’allégorie, la poésie. « Le ciel est bleue comme une orange » c’est déjà une belle métaphore, il n’y a pas de raison de s’en priver et puis le deuxième temps que moi j’aime particulièrement c’est à partir de cette métaphore, comment on va expliquer que le ciel est bleu ?
S2M : La curiosité est le maître mot de vos spectacles ?
Je pense que la curiosité est le moteur de l’humanité, c'est-à-dire que si l’on est ravalé à notre instinct animal on régresse, c’est quand l’on voit l’œil brillé de curiosité que l’on peut se transformer.
S2M : Si demain vous aviez le choix de monter un spectacle sans restriction, sur quel type de science se porterai votre choix ?
Actuellement je suis très intéressé par tous les fantasmes qu’il y a autour de la manipulation génétique. Il ya des grandes peurs et des questions éthiques derrières tout ça, « peut-on faire des salades qui ne soient pas issues de la terre » ? Ça pose des questions très fortes philosophiquement parlant et puis y’a autour de nous des usines à fantasmes comme la génopôle à Evry qui travail sur les polymères. C’est en quelques sorte des agrégats de matières qui remplacent d’autres matières et tout coup on est dérouté, on paire nos repères, la science deviens un continent extrême, c’est devenu tellement complexe qu’on ne peut plus vulgariser et réduire. C’est un bel enjeux démocratique que de se poser ces questions par rapport à la manipulation génétique. Pour relier ça avec l’art je travail sur un texte d’Oscar Panizza « the Mention Fabric» qui raconte un peu à la Kafka une histoire de manufacture d’homme ; et si j’avais le choix j’aimerai partir dans cette direction là. Produire des hommes « artificiels » en polymère, qui pourraient marcher, des sortes de brebis Dolly en polymère et relier le tout avec un contenu scientifique.
S2M : Pensez vous qu’il soit possible pour le théâtre de science de s’emparer de science dite « molle », des sciences humaines ?
La question des sciences humaines c’est une vrai belle question. Quelle est la frontière avec les sciences exactes. Je pense que l’on voudrait croire que non, qu’il est impossible de faire un vrai bon spectacle de vulgarisation en traitant de ces domaines, et cela nous arrangerai bien, mais peut être que oui. Pour ma part je pense que ces questions doivent être à la tangente de la culture scientifique mais pas forcement au cœur. En tout cas je n’y suis pas suffisamment plongé pour avoir l’envie d’y aller. Derrière ça pour moi il y a des mélanges entre de la sociologie, de la culture politique et ça prend tout de suite des aspects très forts politiquement, et c’est donc forcement subjectifs. Ce qui m’intéresse dans le travail avec la culture scientifique c’est ce challenge de travailler avec une culture exacte et donc de retransmettre un savoir exact, c’est une espèce de pari. On peut toujours croire quand on est metteur en scène que finalement on compte sur son intuition, une espèce de divination, quelque chose qui nous viens d’en haut, donner par les dieux et plus je vieillis plus je pense que finalement l’intuition c’est d’abord du travail, donc de la connaissance, beaucoup de temps de lecture, de culture et à un moment donné on peut avoir une intuition parce qu’on a les fondements pour l’avoir. En vieillissant j’ai de plus en plus conscience de mon inculture.
S2M : On est un peu dans pascal qui disait la dernière démarche de la raison c’est de reconnaitre qu’il y a une infinité de choses qui la dépasse ?
Peut être oui, c’est ça qui vaux la peine de vivre, quand je parlais d’appétence, de gourmandise c’est ça, on n’a pas fait le tour du monde et arrivé à ma dernière heure j’aurai encore envie d’en découdre.
A mon sens c’est cette route qui est intéressante, si l’on prend la vie pour ce qu’elle est, c'est-à-dire un chemin avec un début et une fin et qu’on ne considère que la fin alors on est triste. C’est cette gourmandise qui fait que j’assume cette tristesse.
S2M : On parle de plus en plus d’Art/Science aujourd’hui, ne pensez vous pas qu’il y ait souvent un amalgame entre science et technique ?
Aujourd’hui il y a de plus en plus de nouvelles technologies qui sont extravagantes, extraordinaire et accessibles, on le voit avec l’informatique. Dans nos entreprises de spectacles la façon dont on communique à changé, et au niveau des spectacles ont pourrait être envahi par des ingénieurs des techniciens de tout poils qui nous mettraient en boite des spectacles avec des systèmes lasers, des technologies d’images de son qui au final nous englues. Personnellement, j’ai envie de réaffirmer que de la même manière que le monde ne doit pas se donner à la financiarisation, c'est-à-dire que ce n’est pas l’argent qui fait vivre ; ce ne sont pas les outils technologiques qui nous donneront du sens. Dans l’idée que j’ai du développement de mon travail d’écriture et de mise en scène si je veux rester ouvert avec des techniciens pointus sur les nouvelles technologies mais je n’ai pas envi qu’ils prennent le dessus sur le travail que j’ai à faire, ils doivent être au service. Même si les nouveaux outils sont fascinants, pour autant ce n’est pas ça qui nous irriguent.
S2M : Pensez vous que l’artiste ait un rôle à jouer dans la mise à distance critique de l’objet technique ?
C’est un enjeu important oui, j’aimerai en découdre là-dessus car il ne faut pas se laisser bouffer par la technique, elle doit rester à notre service, il faut en garder l’intelligence c'est-à-dire la saveur. Cette réflexion est reliée à la même faute de sens sur les actes consuméristes, posséder des choses ne changera en rien le fait d’être. Ça peut paraître évident mais c’est essentiel.
S2M : Avait vous une méthode artistique ? Et si oui, la mettez vous en débat ?
On ne peut pas travailler en durée sans méthode. C’est aussi un des plaisirs qu’on a à travailler avec des scientifiques car on s’est rendu compte qu’on avait une méthodologie qui fonctionnait d’une façon quasiment identique entre l’intuition dont je parlais tout à l’heure, l’hypothèse qu’on pose et la vérification. Etre en route artistiquement c’est émettre des hypothèses et essayer de les vérifier et ce laissé faire par ce qui arrive. Le point important est de ce laisser en capacité de laisser apparaître des évènement qu’on n’avait pas prévus même si c’est dérangeant, c’est ça faire de la création, c’est toujours être décentré sinon je ne fais qu’affirmer un savoir et alors je ne suis plus un artiste. Pour ce qui ait du travail en équipe ma tache est d’être à l’écoute de chacun pour donner les conditions d’être en état de création, c’est beaucoup d’humilité, d’attention, et prendre le risque de ne pas savoir et de se tromper, admettre que l’on est pas bon. Laisser aussi les membres de l’équipe libres eux même de prendre le risque de ne pas savoir et de ce tromper. Il ne faut pas engager quelqu’un parce qu’il sait faire quelque chose mais utiliser le paradoxe « je t’engage car j’ai l’intuition que tu pourras faire quelque chose et si tu ne sais pas c’est ça qui m’intéresse ». Comment trouver les conditions pour que tu puisses y arriver ? C’est cela les conditions de l’hypothèse et les vérifications de l’hypothèse ce qui implique tu temps, de travailler par strate. Un spectacle n’est pas une recette qu’on applique et au bout de tant de temps le gâteau est près, mais c’est un travail qui s’élabore dans la durée, et qui au bout d’un temps qui comprend le frottement aux artistes, le frottement au public.
S2M : Vos méthodes ont-elles évoluées aux contacts du monde scientifique ?
Oui dans la mesure où ce faire livrer un contenu scientifique qui n’est pas discutable demande de laisser de côté l’idée même que j’avais de l’intuition de départ. Le fait d’avoir un contenu et de ne pas savoir qu’en faire demande de se mettre en roue libre, ça deviens très concret contrairement à une écriture que l’on va appeler plus poétique.
S2M : C’est donc plaisant de travailler avec une contrainte ?
Bien sur, croire que l’intérêt serait de vivre sans contrainte c’est se priver du plaisir, ce n’est pas la contrainte en soi qui est intéressante, c’est le fait de l’avoir dépassé et là on touche au bonheur.
S2M : Pensez vous que l’homme de théâtre en général ait une aversion pour science ?
La plupart d’entre nous étant issu du milieu littéraire je pense que oui. Dans le métier, on a d’un coté des scientifiques qui pourraient se prendre pour des artistes et inversement des artistes qui pourraient se prendre pour des scientifiques et c’est de cette confusion que naît l’intérêt. Pour moi il faut que chacun reste à sa place, cela suppose beaucoup d’humilité. Aujourd’hui la mode serait d’aller sur les champs de la culture scientifique parce que l’on pourrait montrer des nouveaux outils technologiques et ça justifierai les dépenses et les recherches qu’on fait. Je pense qu’à l’inverse ce qui est intéressant c’est de revenir à l’humain et encore une fois le savoir se trouve du fait que des être humains sont dans une éthique et non pas au service d’une industrie.
S2M : Qu’elle découverte scientifique vous semble la plus contre intuitive, la plus bizarre ?
Le fait que la terre soit ronde, c’est invraisemblable c’est poétique de pouvoir marcher la tête à l’envers.
S2M : L’objet technique qui vous semble le plus bénéfique ?
L’outil chaussure, ça vous emmène loin des chaussures.
S2M : Le domaine scientifique le plus fascinant ?
La mécanique quantique, c’est un domaine qui me donne envie d’être savant, de comprendre, la direction du temps les trous noirs, toutes ces découvertes sont invraisemblables.
S2M : Le domaine scientifique pour lequel vous avez le moins d’affection ?
Les mathématique mais c’est parce que j’y connais rien. Dans ma génération c’était ou vous faites le bac C et vous avez de l’avenir ou vous faites littéraire et devenu adolescent on devient catégorique.
S2M : Si vous pouviez d’un claquement de doigt comprend avec finesse un domaine scientifique ?
Je choisirai l’astrophysique, l’astronomie mais ça se rejoint.
S2M : Si dieu existe que pensez vous qu’il pense des artistes et des scientifiques ?
Je pense que dieu, c’est vous, c’est moi, donc il existe … et ce qu’il en pense c’est qu’il faut que l’on fasse très attention à nous car nous sommes capables de nous mettre en danger sans même le savoir.
S2M : Si dieu existe, qu’aimeriez vous lui entendre vous dire à votre mort ?
Viens on continu, autrement mais on continu, j’aime l’idée qu’il puisse y avoir une autre vie mais vraiment autrement, avec des valeurs temps inversé par exemple.